Le Révizor
de Nicolas Gogol
en décembre 2011
mise en scène : Eglantine Bonetto & Frédéric Baltes
son et lumières : Véronique Doré
& Yves Moreau
>Affiche
>Photos
du spectacle
>Bande annonce
Deux énormes rats ont reniflé toute la nuit l'appartement du gouverneur, puis se sont enfuis mystérieusement... C'est par un cauchemar que nous entrons dans le Revizor de Gogol. C'est par un cauchemar que nous en sortons. Mais entre ces deux effrois, le songe noir est devenu lumineux, la terreur a fait place à un bonheur difficile à imaginer : ce souriceau de Khestakov, celui que l'on prend pour un redoutable inspecteur du gouvernement tsariste, en proie à la faim et au dénuement, trouve tout à coup dans ce " trou perdu " une famille exceptionnellement accueillante, dévouée, attentive, amoureuse même ! Lui, le sans grade, le gamin perdu dans l'immense Russie et ses rêves de grandeur n'en croit pas ses yeux : on s'occupe de lui, on le bichonne, on l'écoute bouche bée, en un mot, on le " reconnaît ".
Il existe. Un rêve ! Un rêve aussi pour Maria, la fille du gouverneur qu'il va épouser, un rêve pour le gouverneur et sa femme, qu'attend une fulgurante promotion dans la capitale, un rêve pour tous ceux qui se croyaient menacés et qui s'en tirent si facilement ! Les voilà maintenant éblouis, en pleine illusion, vivant dans l'erreur avec ravissement et gourmandise ! Cela durera deux jours, deux petits jours d'hiver : dès que Khlestakov réalise qu'il est pris pour ce qu'il n'est pas, il s'enfuit, laissant tout le monde pétrifié. Un leurre, il n'était que cela, le freluquet : un personnage " fantasmagorique " comme dit Gogol, un " mensonge qui a pris corps ", un diable qui est passé donner au monde quelques coups de fouet (il y a khlyst, " fouet ", dans Khlestakov).
Comédie de l'erreur, le Revizor devint très vite aux yeux de Gogol une erreur de comédie : le succès considérable que remporta sa pièce ne prenait en compte que la cruelle dénonciation qu'il faisait des turpitudes de l'administration tsariste, et lui, Gogol, le fervent réactionnaire qui voyait dans le gouvernement " la représentation sur terre de la Providence ", devint à son corps défendant un libéral, l'étendard de l'intelligentsia révolutionnaire, tandis que les conservateurs l'accusaient de vouloir saper les bases de la société ! Alors Gogol a peur : on le prend pour un autre. Transi d'angoisse, il cauchemarde à son tour, il souhaite qu'une " grosse mite " vienne dévorer sa comédie, il proteste à la vue de l'affluence du public accouru à sa pièce : " tout le monde est contre moi ! " Et Gogol fuit. Comme Khlestakov. Il fuit sa pièce, car sa pièce est devenue un mensonge.
Toutes ses justifications et explications laborieuses n'y changeront rien : elle triomphe pour ce qu'elle n'est pas. Comme Khlestakov dans le salon du gouverneur.
Dix
ans plus tard, Gogol veut encore convaincre : il écrit le Dénouement
au Revizor. Dans cette pièce allégorique qui voulait " corriger
" le Revizor, Gogol explique une bonne fois pour toutes que la ville où
se situe l'action de sa comédie est notre âme, que les personnages
représentent chacun une passion, que c'est le Malin qui vient y semer
le désordre, etc., etc. Qui oserait interpréter une telle calamité
?
Poliment,
Gogol se fit envoyer promener par les acteurs qui faisaient triompher LEUR Revizor
! Et il y a, dans ce combat désespéré que mène Gogol
contre le malentendu, quelque chose de bouleversant. Nous ne comprendrons jamais
les liens étranges qui le liaient à sa pièce. Il sait qu'elle
ne lui appartient plus. Son triomphe n'est pas le sien. Gogol abandonne les
hommes. Il part pour Jérusalem prier devant le tombeau du Christ. Il
en revient indifférent. Grave malentendu. Alors il meurt en demandant
une échelle.