En avril 2014 :
Frédérick
ou le boulevard du crime
de Eric-Emmanuel Schmitt
mise en scène Hubert Vinzani
Régie son et lumières : Véronique
Doré
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du spectacle
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Billet Reduc
"Frédérick,
est une pièce qui me fut offerte par le succès des précédentes
! Parce qu'on avait confiance en moi, parce que Jean-Paul Belmondo, star
entre les stars, voulait me jouer, je pus me permettre de multiplier les
personnages, les décors et les péripéties. Pour la
première fois, j'écrivis non seulement une pièce
mais un spectacle.
Je croyais que l'histoire de Frédérick se limiterait à
sa création parisienne, je n'imaginais pas alors qu'à l'étranger
la pièce conviendrait tout aussi parfaitement au théâtre
subventionné qui possède des troupes, ni que, trois mois
seulement après la première française, j'assisterais,
au théâtre de Köln, à la superbe version allemande
si poétique que dirigea Torsten Fisher.
J'ai voulu écrire une pièce populaire, directe, franche,
nette, avec des couleurs claires et vives ; malgré moi, le doute
et la mélancolie y ont pris la place importante qu'ils occupent
dans mon esprit et y ont mis leurs teintes crépusculaires. J'ai
aussi voulu faire rire ; malgré moi, je me suis surpris à
faire pleurer. La pièce, qui, d'abord, se moque cruellement du
mélodrame, allant jusqu'à en faire une parodie dans L'auberge
des Adrets, se révèle néanmoins un mélodrame.
En découvrant cela sous ma plume, je m'accrochai à cette
perversité de construction qui me piégeait avec délice
: en semblant évacuer l'émotion, je la restaurais, insidieusement,
donc efficacement. Frédérick transmet l'amour enfantin que
j'éprouve pour le théâtre.
Le théâtre est un lieu qui, comme l'église, nous remplit
d'espoir lorsque nous y pénétrons : tout est possible, murmure
la salle, tout peut ici arriver, les morts se relèvent, les blessures
ne font pas mal, les histoires recommencent, les hommes ne vieillissent
pas, un mâle peut devenir femelle, le ridicule est fustigé
et la scélératesse éventuellement punie. La salle
de théâtre, illuminée par les éclairs des rêves
que nous y projetons, allégée par le sentiment confortable
de l'irréalité, parfumée d'impatience, chauffée
par nos plaisirs anticipés, la salle de théâtre offre
une bulle protégée où non seulement on reproduit
la vie mais où on la réfléchit, on la corrige. Frédérick,
dont l'enfance ne fut pas heureuse auprès d'une mère acariâtre
et dépourvue d'amour, s'est réfugié au théâtre
pour vivre sa vie, ou plutôt pour vivre ses vies car il en a autant
que de rôles. Pour la grâce de la comédie, il sera
mille personnes en son temps terrestre alors que les milliards d'humains
ordinaires sont limités à un seul rôle dans leur seule
peau.
Cette fondamentale pluralité que lui permet son art se révèle
aussi une fondamentale duplicité : il ne sait jamais vraiment quand
il est sincère ; habitué non pas à mentir mais à
créer en lui chaque soir des émotions diverses, il s'est
égaré depuis longtemps dans le labyrinthe de sa virtuosité,
il s'est perdu de vue, il y a oublié sa vie propre. Bérénice
le ramène à la réalité : cette fois, en face
d'elle, il ne s'agit pas de jouer l'amour mais de s'y engager. Frédérick,
expert en émotions, doute d'être doué pour les sentiments
; c'est que ceux-ci, à la différence des émotions
intenses, immédiates, éphémères, sitôt
vécues, sitôt évanouies, demandent de s'ancrer dans
la durée, constituent les choix d'une vie et forment l'ossature
d'une personnalité. Méfiant vis à vis de lui-même,
Frédérick fera le sacrifice de l'amour par amour. Par respect
et dévotion pour Bérénice, il renonce à lui
imposer ce qu'il croit être son inconsistance. Il ne se rend pas
compte que, justement sa lucidité lui donne alors de la profondeur,
que c'est sa transparence qui le rend opaque.
Par-là, j'ai voulu décrire ce que j'avais appris des comédiens
durant ces dernières années. Contrairement à l'idée
reçue, ils ne sont ni narcissiques ni égocentrés.
Pas narcissiques car Narcisse s'aime et s'admire tel qu'il est, le miroir
lui est un amant suffisant ; or les comédiens ont choisi, eux,
de ne pas être eux-mêmes et de se faire aimer pour une autre
personnalité que la leur. Pas égocentrés non plus,
car l'égocentré, pour ne penser qu'à lui, a besoin
de se connaître lui-même,
d'être en rapport intime avec son ego ; or les comédiens
doutent d'avoir une personnalité propre,se connaître lui-même,
d'être en rapport intime avec son ego ;
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avec
: Basile Alaïmalaïs, Valentin Beltzung, Eglantine Bonetto, Inès Do Nascimento, Philippe Doré, Sylvie Durand, Sylvain Duth, Thierry Llopis, Florine Moreau, Marko Nelep, Hubert Vinzani, Thibault Vinzani, Freddy Zimmer
De situations comiques en moments d’émotion, la pièce nous entraîne au 19ème siècle, au cœur d'un des théâtres
du "Boulevard du crime", haut lieu du mélodrame romantique.
A travers les interrogations de Frédérick Le Maître (comédien emblématique du moment) sur l'engagement amoureux, Eric-Emmanuel Schmitt nous propose une vraie réflexion sur le métier de comédien : observateur inconstant du monde réel, caméléon de l’émotion.
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or les comédiens
doutent d'avoir une personnalité propre, ils préfèrent
en afficher une d'emprunt ; si parfois ils se préoccupent beaucoup
trop de leur carrière et de leur apparence ce n'est de l'égocentrisme
que par défaut d'ego ; s'ils ont un ego, c'est tout au plus l'ego
d'un portemanteau qui se soucierait toujours de porter les plus beaux
costumes en disparaissant sous eux.
Ce doute sur soi, cette demande constante de l'approbation d'autrui, des
applaudissements du public, sont une caractéristique existentielle
du comédien et proviennent souvent d'une blessure primordiale.
La plupart des interprètes que j'ai rencontrés avaient comme
un défaut d'amour, dès l'enfance. Cette carence d'affection
et de reconnaissance gangrène leur vie, elle la dynamise aussi
les poussant à jouer toujours plus pour obtenir toujours plus de
succès, les épuisant dans une course à la gloire
jamais achevée car jamais suffisante. Je me suis inspiré
non seulement de ma fréquentation assidue des coulisses mais aussi
de Frédérick Lemaître, le vrai Frédérick
Lemaître, premier acteur populaire de notre histoire, figure mythique
du comédien du XIXe siècle. Cela me permettait de raconter
aussi l'invention du théâtre populaire, sur le boulevard
du crime, un théâtre qui s'adressait, comme le cinéma
aujourd'hui, à toutes les couches de la population, qui incarnait
les espoirs du peuple, un théâtre politique né de
la révolution, porté par elle, porteur d'elle, un théâtre
qui voulait divertir toujours, provoquer souvent, faire réfléchir
parfois, mais qui ne voulait surtout pas ennuyer comme celui d'aujourd'hui,
ni éduquer didactiquement des masses supposées incultes
qui d'ailleurs pour se venger du mépris que leur adresse nos intellectuels
théâtreux, finissent par laisser leurs fauteuils vides.
Frédérick, parce qu'il est comédien, est un caractère
très différent de tous les autres rôles que j'ai écrit
: il n'est pas réflexif, il ne se commente pas, il s'interroge
peu, il agit. Proche des personnages d'Alexandre Dumas qu'il a créés
sur scène, Frédérick est un héros : le seul
que j'ai jamais composé. Crâneur, audacieux, pulsionnel,
il a le sens de l'improvisation et il ne souhaite rien d'autre que rebondir
de bon mot en bon mot, de péripétie en péripétie.
Solaire, il dispense tous ses rayons, il n'existe qu'en existant, il est
le présent à l'état pur. Après toute la galerie
de personnages obscurs, contradictoires et contredits que j'avais édifiée,
son arrivée me donna la joie d'un vrai rafraîchissement."
Zermat, Suisse, le 25 février 2000
Eric-Emmanuel-Schmitt
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