Les Fourberies de Scapin
de Molière
en décembre 2009

mise en scène : Philippe Doré

son et lumières : Véronique Doré & Yves Moreau
Affiche




En trois actes seulement, Molière nous offre une œuvre conduite essentiellement par l'action. C'est sans doute ce qui en fait sa modernité et sa popularité aujourd'hui. En 1671 (2 ans avant la mort de l'auteur) lors de sa création au théâtre du Palais- Royal elle reçu un accueil très froid de la part du public. Pourquoi présenter à un public habitué aux charmes des comédies-ballet et aux divertissements de cour une œuvre si dépouillée d'artifice ? Mais revenons à la construction de la pièce où les scènes d'action se succèdent du début à la fin. La scène d'exposition est réduite à sa plus simple expression, puis l'action démarre et rebondi de fourberie en fourberie jusqu'au 3ème acte. Quant au " Deus ex machina " qui permet le "happy end" de la fin , contrainte incontournable de la morale du 17ème siècle, il est ici très court et comme atomisé par une dernière fourberie. La seule pause offerte au public se situe au début de l'Acte III ou Hyacinte et Zerbinette débattent de leur condition respective de femme amoureuse.

Nous sommes donc ici en présence d'une œuvre de théâtre total très proche de l'improvisation, ou le geste est l'élément déclencheur du langage. C'est la commedia dell'arte (Scapin est un masque de la commedia) et la farce venant du moyen âge (le sac et les coups de bâtons) qui serviront à Molière dans la construction de cette œuvre "purement théâtrale". Molière puise aux origines de son expérience et l'adapte à son univers théâtral.

Une lecture métaphorique permet d'y voir, comme le fait Jean Serroy, une apologie du jeu théâtral. En effet, Scapin est une sorte d'homme de théâtre complet. D'une part, il invente des scénarios comme un dramaturge: c'est lui qui imagine l'histoire de la galère et qui se présente comme le plus "habile ouvrier de ressorts et d'intrigues". D'autre part, il met en scène les acteurs et les fait répéter, ainsi qu'il le fait avec Octave avant la rencontre réelle avec son père: "Répétons un peu votre rôle, et voyons si vous ferez bien. Allons. La mine résolue, la tête haute, les regards assurés" De même, il conçoit des jeux de scène et prête sa voix à plusieurs personnages quand il bâtonne Géronte qu'il a fait entrer dans le sac (III, 2). Enfin, il est lui-même acteur, jouant divers rôles de composition, comme celui du sage qui philosophe sur la jeunesse (I, 4) ou celui du mourant qui se fait conduire sur une civière afin de se faire pardonner (III, 12). En un mot, il règne sur le monde de l'illusion.

Le Scapin de Molière (de l'italien scaparre : échapper) est une forme très évolué voir complexe du "zanni" (valet milanais) des origines. Je l'ai imaginé sans masque pour ne pas pousser le personnage vers la caricature et faire ressortir sa modernité. Par opposition les deux barbons Argante et Géronte qui représentent deux versions du "signor Pantalone" (personnage de la commedia dell'arte) garderont leur masque.

Qui est le Scapin de Molière ? Un altruiste, un misanthrope, un escroc, un manipulateur ? J'imagine que son art de la fourberie lui insuffle la vie, l'aide à sortir de la torpeur où le plonge sa condition, qu'il vit vraiment quand il tire toutes les ficelles. Il ne retire aucun argent et aucune gloire de ses fourberies (sinon pour lui-même) et il ne semble pas agir uniquement pour le bienfait de ses maîtres. Il vit quand il invente, quand il imagine et s'oublie dans l'action. Mais l'instinctif Scapin ne calcule pas "…, et je hais ces cœurs pusillanimes qui, pour trop prévoir les suites des choses, n'osent rien entreprendre.", ne se projette pas dans l'avenir et ne vit que de l'instant présent. C'est bien là que réside son magnétisme presque animal, mais aussi son drame. Cent ans plus tard le Figaro de Beaumarchais, digne héritier de Scapin, utilisera la même agilité d'esprit pour se construire et s'extirper de sa condition.